Une grosse production qui marque une date importante dans le cinéma américain et dans sa perception du continent africain

The Woman King (2022)

Réalisé par Gina Prince-Bythewood

Ecrit par Dana Stevens d’après une histoire de Maria Bello et Dana Stevens

Avec Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch, Sheila Atim, John Boyega, Julius Tennon, Jordan Bolger,…

Direction de la photographie : Polly Morgan / Montage : Terilyn A. Shropshire / Production design : Akin McKenzie / Musique : Terence Blanchard

Produit par Maria Bello, Viola Davis, Cathy Schulman et Julius Tennon pour JuVee Productions, Welle Entertainment, Entertainment One, Jack Blue Productions et TriStar Productions

Aventures / Histoire

135mn

USA / Canada

Quand j’ai créé ce site, c’était dans le but de parler de cinéma de patrimoine de l’ère pré-internet, et plutôt dans l’optique de parler des oeuvres oubliées que des grands classiques sur lesquels une bonne palanquée de critiques ont déjà été publiées. Et j’avoue avoir été rarement tenté de parler d’un film récent même si je continue à aller au cinéma voir les sorties du moment.

Et voici que je fais pour la première fois une exception pour un film américain d’aventures à gros budget. Avec son budget estimé à 50 millions de dollars, une jolie somme à une époque où les studios, apeurés par la concurrence des plateformes en ligne, ont tendance à miser sur une moyenne 20 millions de dollars.

« The Woman King » est à plus d’un titre un OFNI dans le paysage cinématographique américain actuel. Un film hollywoodien à ce prix là sans super héros avec un casting presqu’entièrement noir et en grande partie féminin, et qui se déroule en Afrique ? Je vois venir ceux qui vont crier au wokisme !

Et pourtant ! A part le quasi parodique « Black Panther » (2018), un film de super héros produit par Disney avec son Afrique en carton pâte, Hollywood n’a pas pour habitude de parier une telle somme sur un film (apparemment) de niche… qui se déroule en Afrique en plus ! Sony Pictures Entertainment, dont TriStar est une filiale, a-t-il perdu la tête ? Même si elle n’est pas la seule à mettre de l’argent (il y a également notamment le conglomérat amicano-canadien E-one et deux des acteurs principaux afro-américains).

Il n’y a pas de miracle cependant. Basé librement sur des faits réels, « The Woman King » bénéficie tout de même d’un traitement scénaristique à l’américaine.

En 1823, Mawi (Thuso Mbedu), une jeune femme de 19 ans qui habite le royaume de Dahomey (qui fait partie de l’actuel Bénin) est donnée par son père au Roi car elle refuse d’épouser un vieil homme riche. Elle est intégrée dans les rangs des Agojie, une armée exclusivement féminine des amazones du Dahomey. Là Mawi va devoir prouver qu’elle est à la hauteur de ce régiment mythique, et se dépasser. Grande gueule, elle va devoir se plier à la discipline sous l’oeil sévère de l’impitoyable Nanisca (Viola Davis). Mais Mawi va briser les règles en aidant une amie ou encore, pire en ayant une bluette avec Malik (Jordan Bolger), un mulâtre dont la mère était originaire du Dahomey et dont le demi-frère reprend le commerce d’esclave paternel. La guerre du royaume de Dahomey avec celui d’Oyo, mené par le cruel Moru (Julius Tennon), va permettre à Mawi de faire la preuve de son courage.

On retrouve donc le mix de valeurs d’individualisme et de l’importance du collectif chères aux films hollywoodiens. Avec un peu de romantisme et de mélo, deux constituantes importantes pour un film d’aventures grand public. C’est d’ailleurs assez remarquable de réussir à faire un film classé PG-13 alors que l’arme principale des guerrières sont des machettes. Et c’est tout à l’honneur de la réalisatrice Gina Prince-Bythewood.

On évite quand même la Disneyisation. Si le royaume de Dahomey est montré d’une façon caricaturale pour passer pour les gentils de l’histoire (alors qu’en fait ils ont pratiqué la vente d’esclaves aux Européens – et par effet de rebond aux Américains quand même cités dans cette histoire – de la même façon que les « méchants » du royaume d’Oyo), c’est une pratique assez habituelle pour un film hollywoodien. Il faut bien un gentil et un méchant. Rien de honteux, on est dans un film de divertissement. Mawi n’est quand même pas une princesse de Disney. Tout juste, mais le film, basé sur des personnages fictifs (évidemment Mawi et Nanisca sont des créations) évite le ridicule et propose des personnages assez forts, par ailleurs très bien interprétés.

Hors le rôle de Mawi, tenu par la sud africaine Thuso Mbedu qui a fait ses débuts américains dans la mini série « The Underground Railroad » (2021) et l’ougandaise Sheila Atim dans le celui de Amenza (et qui a déjà une solide carrière américaine), le casting principal est un mix d’acteurs afro américains (Viola Davis et Julius Tennon, également producteurs) et britannique (Thuso Mbedu, John Boyega, Jordan Bolger). Là aussi rien d’étonnant.

Le côté « révolutionnaire » de « The Woman King » vient bien du fait qu’il propose pour ce qui me semble être la première fois pour un film américain, un discours pro-africain (mais non angélique) où les Africains sont véritablement au centre du film (aussi bien dans les rôles de gentils ou de méchants) et où les Occidentaux sont relégués à un rôle tout à fait secondaire voir invisible (le seul personnage blanc est celui l’esclavagiste). Attention toutefois cette invisibilité est d’ordre visuelle, le commerce des esclaves est un sujet central du film. Les vendeurs sont africains mais on connait les acheteurs.

Malgré les défauts cités, cette grosse production américaine (ou américano-canadienne) marque en tout cas un cap dans la production outre-atlantique, et dans la place accordée aux afro-américains à Hollywood. Rien que pour ça, et ses qualités de divertissement, c’est un film qui faite date.