Un mélo fantastique improbable et nanardisant mais qui séduit par sa sincérité naïve. En plus c’est le seul film où Delon casse la gueule à la Mort !

Le Passage (1986)

Réalisé par René Manzor

Ecrit par René Manzor (avec une participation d’Alain Delon)

Avec Alain Delon, Alain Musy, Christine Boisson, Jean-Luc Moreau,…

Direction de la photographie : André Diot / Production design : Emmanuel de Chauvigny / Montage : Christian Ange et Roland Baubeau / Musique : Jean-Félix Lalanne

Produit par Daniel Champagnon, Alain Delon et Francis Lalanne

Fantastique / Mélodrame

84mn

France

Jean Diaz (Alain Delon), cinéaste, et son jeune fils David (Alain Musy) sont victimes d’un accident de la route. C’est la Mort elle-même qui a provoqué l’accident. Elle impose à Diaz un marché : il devra réaliser pour elle son grand oeuvre : un film d’animation contre la violence. S’il refuse, elle s’en prendra à son fils David..

La Mort s’ennuie. Elle cherche un nouveau compagnon. Dans son antre high-tech, tout en regardant les Terriens s’entre-tuer sur des moniteurs (Sony), elle tapote sur le clavier de son ordinateur (Bull). Elle voudrait quelqu’un qui tienne un peu plus longtemps que ses précédents compagnons de jeu. Son ordinateur (une sorte de Siri avant l’heure) lui annonce que pour plus de diversité dans les choix, il a ajouté au catalogue les artistes. Tiens, c’est pas mal ça, se dit la Mort. Elle demande à son ordinateur de lui sortir les cinq artistes les plus importants du moment. L’ordinateur sort notamment le nom de Jean Diaz, un cinéaste, un puriste, un vrai, qui n’a pas tourné depuis dix ans car il est déçu du monde mais prépare une grande oeuvre pour dénoncer la violence. Tiens c’est exactement ce qu’il me faut, penser la Mort. Bon, ben il n’y a plus qu’à organiser la mort du dit artiste et comme ça il créera pour la Mort. La chance ! Allez, hop que diriez-vous d’un petit accident de voiture ? C’est bon, le fils on l’épargne pour l’instant. On ne sait jamais, il pourra toujours servir comme moyen de pression !

« Le Passage » est un film hautement improbable. Un film fantastique français d’un tout jeune réalisateur… et avec pas moins qu’Alain Delon au générique. René Manzor est alors âgé de 27 ans et c’est son premier film. Il en a écrit le scénario… assez particulier, on va dire. Mais bon Delon contre la Mort… Qui pourrait résister ?! Delon, logiquement séduit par le projet, et son frère, le chanteur Francis Lalanne, lui permettront de réaliser son rêve en enfilant les casquettes de producteurs.

Le scénario est très fantaisiste. Le concept, très original, aurait pu donner lieu à un grand film fantastique. Les extraits du dessin animé qu’est en train de réaliser Diaz s’incorporent bien au film et lui donnent un style. La patte de René Manzor (oui c’est lui qui a créé également les séquences animées) est très eighties mais c’est une caractéristique globale du film. C’est daté mais c’est pas forcément un défaut.

Trois choses gênent principalement quand on regarde « Le Passage ». D’abord les dialogues sont globalement assez affligeants (« Jean Diaz ne pactise pas avec la mort, il la combat ! » explique Delon en fixant la Mort droit dans les yeux).

Ensuite, ce n’est pas parce qu’on fait du fantastique qu’on doit renier toute vraisemblabilité. Il faut que le spectateur ait quand même l’impression que l’intrigue pourrait se réaliser (dans une autre dimension avec plein de si, qu’importe, mais il faut un soupçon de rationnel dans l’intrigue, le déroulé des événements,..). Par exemple, Diaz à travers ses dessins ne fait que reproduire des scènes de violence (viol, mort d’un soldat,…) malheureusement classiques. Pourtant la Mort a l’air de trouver que ça lui donne de nouvelles idées qui compenseraient son propre manque d’imagination. Je dirais pour ma part que la Mort a bien plus d’imagination que Diaz, il suffit de lire la rubrique faits divers d’un jour quelconque.

Enfin « Le Passage » est autant un film fantastique qu’un mélo, pas très léger, sur l’amour d’un père pour son fils. Et même si Alain Musy, le fils de René Manzor, dans le rôle du petit garçon, s’en tire plutôt bien, on ne peut pas en dire autant de ses parents à l’écran, Alain Delon et Christine Boisson qui affichent un manque terrible de subtilité dans leur jeu – Delon surjoue, Boisson est à côté de la plaque. Sûrement un problème de direction d’acteurs. Bref, les séquences d’émotion tombent à l’eau.

Tous ses défauts qui l’entraine aux limites de la nanardisation n’empêchent pas « Le Passage » de dégager un certain charme. Sûrement parce que Manzor donne l’impression d’y croire, coûte que coûte. Et mine de rien, cette volonté de bien faire, cette sincérité, fut-elle naïve, se voit à l’écran.

« Le Passage » sera un succès surprise dans les salles françaises, engendrant pas moins de 2,5 millions d’entrées. La présence de Delon au générique et la chanson de fin, énorme succès au Top 50, signée Francis Lalanne (« Pense à Moi Comme Je T’aime »), ont sûrement joué leur part. Mais je pense que ce pessimisme naïf et l’esthétique du film, dans l’air du temps, ont également pesé sur le succès du film.

René Manzor explique en 2017* qu’il a eu toutes les difficultés à faire un deuxième film malgré le succès inattendu du « Passage », le critique et le public français étant globalement allergiques au cinéma fantastique made in France. Rien que par le fait d’exister, « Le Passage » mérite en tout cas qu’on se souvienne de lui pour autre chose que son générique de fin.

A noter que le film est aujourd’hui uniquement disponible sous la forme d’un vieux DVD sorti en 2003 (dans le cadre d’une collection Alain Delon), sans aucun bonus.

* dans le supplément du somptueux coffret que l’éditeur Le Chat qui fume a consacré à « 36.15 code Père Noël » , son deuxième film sorti trois ans plus tard.

DVD zone 2 FR. Studio Fox Pathé Europa (2003). Collection « Alain Delon ». Version française. Aucun bonus.