Un très beau drame sensible sur deux adolescentes orphelines qui vivent avec leur tante, figure excentrique et marginale, incapable de s’occuper d’elles

Housekeeping (1987)

Réalisé par Bill Forsyth

Ecrit par Bill Forsyth d’après le roman de Marilynne Robinson

Avec Christine Lahti, Sara Walker, Andrea Burchill, Margot Pinvidic,…

Direction de la photographie : Michael Coulter / Direction artistique : John Willett / Montage : Michael Ellis / Musique : Michael Gibbs

Produit par Robert F. Colesberry

Comédie dramatique

USA

Helen (Margot Pinvidic) élève seule ses deux filles, Ruth et Lucille, à Seattle durant les années 50. Un jour elle emprunte la voiture d’une voisine pour conduire ses filles chez leur grand-mère dans un petit village perdu près d’un lac et entouré de montagnes. Mais après les avoir déposé, Helen se suicide. Les enfants sont alors pris en charge par leur grand-mère qui refuse de leur parler de leur mère, ni de leur tante. Sept ans plus tard, la grand-mère meurt, et Ruth et Lucille vont faire la connaissance de leur fameuse tante, Sylvie (Christine Lahti). Mais celle-ci est un personnage excentrique et solitaire, qui n’est pas capable de s’occuper d’un foyer avec deux adolescentes. Ces dernières se retrouvent encore une fois livrées à elles-même. Si Ruth est attirée par l’étrangeté de sa tante, Lucille la rejette et tente d’intégrer la communauté.

« Housekeeping » est le cinquième film du réalisateur écossais Bill Forsyth et son premier film américain. Précédemment, il a signé le scénario et la réalisation de quatre comédies devenues cultes : « That Sinking Feeling » (1979), « Gregory’s Girl » (1981), son plus grand succès commercial « Local Hero » (1983) et « Comfort and Joy » (1984).

A priori « Housekeeping » est un film très différent de ses précédents. Déjà il est adapté d’un livre. Tombé amoureux du roman de Marilynne Robinson paru en 1980, Forsyth décide d’en acheter les droits. Il se bat pour trouver les fonds nécessaires et finit par attirer Diane Keaton et par conséquent la Cannon, maison de production fameuse des années 80, spécialisée en films de séries B à Z alors en quête de respectabilité (ils produisent notamment « Love Streams » de Cassavetes en 1984). Mais quand Keaton quitte le projet quelques semaines avant le tournage, le projet s’effondre.

Forsyth décide alors de se tourner vers David Puttnam, le producteur britannique légendaire de « Midnight Express » (1978) « Chariots of Fire » (1981), de « The Killing Fields » (1984) ou encore de « Mission » (1986). C’est Puttnam qui avait prouduit « Local Hero » et les deux hommes s’apprécient. Suite à ses triomphes, Puttnam est en passe d’être nommé à la tête de Columbia Pictures et promet son soutien à Forsyth. Chose dite, chose faite, « Housekeeping » sera le premier film produit par Columbia durant la brève période de règne de Puttnam.

Pour sa première adaptation, Forsyth part sur une idée humble, il veut juste donner envie aux gens de lire le livre. Si inévitablement il en simplifie la structure (le livre n’est pas écrit dans un ordre chronologique), Forsyth fait tout pour rester fidèle à l’oeuvre de départ, même si celle-ci n’est pas forcément jugée cinématographique, par Puttnam lui-même (qui pour être précis avait déjà refusé une fois le projet pour cette raison). Qu’importe. Cette histoire de personnage excentrique qui ne trouve pas sa place dans la vie touche Forsyth, et renvoie aux thématiques qu’il a explorées à travers ces précédents films (difficulté de s’insérer dans la société, vide existentiel,…).

Il s’entoure d’un certain nombre de ses collaborateurs habituels (notamment le chef de la photographie Michael Coulte), et recrute les trois actrices principales du film, les deux jeunes filles, totalement débutantes devant les écrans, et Christine Lahti qui se retrouve ici pour la première fois en tête d’affiche.

« Housekeeping » est une histoire de femmes. Il n’y a pratiquement aucun personnage masculin, même si l’ombre du grand père, peintre du dimanche obsédé par les montages et disparu pendant un célèbre accident de train, plane sur la famille (et est surtout une excuse pour ne pas parler des sujets qui fâchent). Les deux filles, Helen et Sylvie, ont toutes les deux eu des mariages ratés. Si Helen tente d’avoir une vie normale (mais sans grande réussite donc), Sylvie s’est enfoncée dans la marginalité. Un schéma que reproduisent Lucille et Ruth. Vont-elles mieux s’en sortir ? Le film ne donne pas de réponses.

La réussite de « Housekeeping » c’est de ne pas sombrer dans le pathos ou la poésie frelatée, et de plutôt opter pour un réalisme terre-à-terre. Pas de moment larmoyant, pas d’histoire d’amour à grand renfort de violons comme on aurait pu s’y attendre vu le sujet. Le film laisse beaucoup de non-dits à l’imagination du spectateur (en dépit d’une utilisation un peu excessive de la voix off de Rut – constituée d’extraits du livre). On aurait pu du coup obtenir un résultat plutôt âpre, mais l’humanité des personnages (surtout Sylvie) emporte l’adhésion (même si celui de Lucille aurait pu être traité avec plus de bienveillance). « Housekeeping » est un film original, fruit de décisions atypiques (surtout pour un film américain – comme quoi c’est toujours bien pour un cinéaste d’avoir un ami producteur dans la poche !).

L’éditeur anglais Powerhouse Films a eu l’excellente idée de ressortir ce film aujourd’hui oublié. Si Forsyth est reconnu aujourd’hui comme un grand réalisateur, sa période américaine (trois films) reste ignorée. « Housekeeping » est le plus réussi des trois et a reçu un accueil critique chaleureux lors de sa sortie. Il faut re-découvrir cette oeuvre sensible et forte qui s’écarte des facilités de nombres de drames hollywoodiens.

Blu-ray UK. Studio Powerhouse Films, Collection Indicator. Edition limitée à 3000 exemplaires. Version orginale avec sous-titres en anglais optionnels. Bonus : livret de 32 pages, interviews de Bill Forsyth (42mn), de l’écrivaine Marilynne Robinson (13 mn), du directeur de la photographie Michael Coulter (13 mn) et du monteur Michael Ellis (11 mn)