Chef d’oeuvre de Visconti, « Morte a Venezia » (1971) est aussi bien un film sur la décadence et la mort que sur la création artistique dans une Venise hostile et inquiétante
Morte a Venezia (1971)
(La mort à Venise)
Réalisé par Luchino Visconti
Ecrit par Nicola Badalucco et Luchino Visconti d’après le roman de Thomas Mann
Avec Dirk Bogarde, Björn Andrésen, Silvana Mangano, Mark Burns,…
Direction de la photographie : Pasqualino De Santis / Direction artistique : Ferdinando Scarfiotti / Costumes : Piero Tosi / Montage : Ruggero Mastroianni
Produit par Luchino Visconti
Drame / romance
Italie / France / USA
Après un malaise, le compositeur Gustav von Aschenbach (Dirk Bogarde) part se reposer à Venise. Il y tombe sous le charme d’un jeune garçon Tadzio (Björn Andrésen) qui devient une obsession alors que son état de santé se dégrade.
Le compositeur Gustav von Aschenbach (Dirk Bogarde) arrive par bateau à Venise. Alors qu’il lit un livre, on peut percevoir sa douleur et sa fatigue (on apprendra plus tard par un flashback qu’il a souffert d’un malaise cardiaque). Mais avant même de débarquer à Venise et de se rendre à l’hôtel au Lido où il a réservé une chambre, des personnages antipathiques croisent son chemin et le traitent avec dédain : un vieil homme grimé qui rit de lui ou encore le gondolier qui refuse de l’amener là où il le souhaite.
D’emblée Venise est hostile, d’abord par ses personnages, puis par la pestilence et les rumeurs de maladie qui courent les rues de la ville. L’hôtel et la plage attenante sont des refuges face à cette violence extérieure. Mais c’est dans cet hôtel qu’il croisera le regard d’un jeune garçon au visage angélique, Tadzio dont il va tomber sur le charme.
Aschenbach va rapidement être obsédé par le jeune garçon et malgré les rumeurs de maladie qui l’inquiètent, il sera rassuré quand sa tentative de s’échapper de Venise échouera. Alors que son état se dégrade, et qu’il suit Tadzio et sa famille dans le rues de Venise, celles-ci deviennent de plus en plus sales. Chez le coiffeur, Aschenbach accepte qu’on lui teigne les cheveux, lui coupe sa moustache et le maquille pour le rajeunir. Mais son visage prend alors un air de masque mortuaire. Même la figure angélique de Tadzio devient inquiétante. Elle n’a pas changé mais semble soudain s’être transformé dans celui d’un ange de la mort, et non juste un symbole fantasmé de la beauté et de la pureté de la jeunesse, tel que le perçoit Aschenbach.
« Morte a Venezia » est un film dur sur la mort, la tentation et la décadence. Ce n’est pas le film le plus facile d’accès de Visconti (il y a finalement très peu de dialogues, les scènes s’étirent et semblent parfois inutilement longues, le recours aux flashbacks peut être déstabilisant) mais il est incontestablement l’un de ses meilleurs. Les difficultés imposées au spectateur ont leur raison d’être. La perfection des décors et costumes donnent vie au Venise de la belle époque et le contraste entre l’intérieur de l’hôtel ultra luxueux (reconstitué de toute pièce dans un hôtel abandonné) et des hôtes richissimes d’un côté et de la pauvreté et de la décadence du reste de la ville. Le grand acteur anglais Dirk Bogarde livre ici l’une ses plus belles prestations. Et le suédois Björn Andrésen dans le rôle du jeune garçon est parfait.
« Morte a Venezia » est adapté d’un court roman de l’écrivain allemand Thomas Mann publié en 1912. Réputé inadaptable au cinéma, c’est pourtant un vieux rêve de Visconti qu’il va ici concrétiser. Après le succès de « La caduta degli dei » (Les damnés, 1969), la Warner est prête à financer n’importe quel projet de Visconti. Il demande alors au scénariste et ex-journaliste Nicola Badalucco qui avait imaginé le scénario de « La caduta… » de travailer avec lui sur ce projet de longue halaine. Il faudra six mois de préparation et un mois d’écriture pour aboutir au scénario de « Morte a Venezia ».
Le film prend de considérables avec le roman de Thomas Mann. Le personnage principal Aschenbach n’est plus un écrivain mais un musicien. Le personnage d’Alfred, son ami compositeur avec qui il débat sur l’art, est inventé de toute pièce, tout comme l’histoire familiale de Aschenbach (qui dans le film était marié et a été traumatisé par le décès de sa fille). Trahison ? Pas du tout se défendent les scénaristes. Le modèle de Mann pour le personnage d’Aschenbach était le compositeur Gustav Mahler (qui lui-même a perdu sa fille Maria quand elle avait cinq ans et avait une faiblesse au coeur dans ses dernières années et est mort en 1911). Evidemment la musique de Malher est omniprésente dans le film. Quant au personnage d’Alfred il est inspiré d’un personnage similaire dans un autre roman de Mann, celui de Leverkühn dans « Doktor Faustus » (1947).
On peut s’étonner que le double DVD collector de la Warner, avec ses bonus de qualité inégale mais éclairants, commence à dater (il est sorti en 2004). On attend avec impatience une édition blu-ray de ce classique.
DVD zone 2 FR. Studio Warner Bros (2004). Version originale (anglais) avec sous-titres français. Versions italienne et française également disponibles. Bonus : « La Venise de Visconti » (8’58 » – VOST), « Nicolas Badalucco : Aux sources de Mort à Venise » (18′ – VOST), « L’emprise du carnavalesque » (21′ – VOST), « Piero Tosi ou le goût de la perfection » : rencontre avec Piero Tosi dans les ateliers de couture Tirelli à Rome (17’45 » – VOST).
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