Une comédie baroque de Mocky, qui sous des airs de film fantastique, livre une sacrée galerie de personnages plus fêlés les uns que les autres.
La cité de l’indicible peur (1964)
Réalisé par Jean-Pierre Mocky
Ecrit par Jean-Pierre Mocky, Gérard Klein et Raymond Queneau d’après le roman de Jean Ray
Avec Bourvil, Jean Poiret, Jean-Louis Barrault, Francis Blanche, Véronique Nordey, Victor Francen, Marcel Pérès, Jacques Dufilho,…
Direction de la photographie : Eugen Schüfftan / Production design : Jacques D’Ovidio / Montage : Marguerite Renoir / Musique : Gérard Calvi
Produit par Jérôme Goulven
Comédie / Crime / Fantastique
85mn
France
Même si ça m’ennuie d’utiliser cette expression, elle définit parfaitement Jean-Pierre Mocky : il est l’ « enfant terrible » du cinéma français, foutraque, anarchiste, inclassable, qui enchaine coûte que coûte les films à un rythme effréné. Au début de sa carrière, amorcée à la toute fin des années 50, il est forcément un peu plus dans les clous d’une filmographie classique, placée sous le signe de la comédie. Il a rapidement ses acteurs habitués (Franchis Blanche,…) et amorce une collaboration avec l’un des plus grands noms de la comédie française, Bourvil. Ce dernier a participé l’année précédente aux côtés de Francis Blanche à « Un drôle de paroissien », son plus grand succès.
Avec « La cité de l’indicible peur », il s’attaque a priori à un domaine alors nouveau pour lui, le fantastique, en adaptant l’auteur belge Jean Ray. Sauf que si l’ambiance fantastique du roman imprègne le film – surtout grâce à la superbe photographie en noir et blanc du légendaire directeur de la photographie hollandais Eugen Schüfftan (L’Atlantide, Les yeux sans visage, l’Arnaqueur,…) -, « La cité de l’indicible peur » est avant tout une comédie satirique de la bourgeoisie provinciale basée sur une sacrée galerie de portraits.
Autour de Bourvil, Mocky réunit la crème des acteurs français dont quelques uns qui sont donc déjà des habitués de son cinéma. Tous endossent la peau de personnages pour le moins bizarres et bourrés de tics de comportement et de langage. On a l’impression d’être dans un asile de fous à ciel ouvert, d’autant que tous les acteurs prennent plaisir à sur-jouer l’étrangeté de leurs personnages, visiblement encouragés par un Mocky qui n’a jamais eu peur d’en rajouter des tonnes… Jusqu’à l’indigestion. Mais même si l’humour de Mocky vous reste un peu sur l’estomac, il faut avouer que « La cité de l’indicible peur » dégage un sacré charme.
Bourvil joue un inspecteur parisien pas très doué qui se retrouve dans un petit village à la recherche d’un criminel chauve, frileux, alcoolique et qui n’aime pas le cassoulet ! Mais sur place, il va devoir des villageois terrorisés par le retour de la Bête, faire face à une série de meurtres commis ou non par son criminel chauve et frileux, une bête légendaire ou que sais-je encore !
Le film, sorti sous le nom de « La grosse frousse », remonté et agrémenté d’une introduction pour être plus compréhensible sous la pression du distributeur (Pathé), est un échec cuisant. Raymond Queneau qui a signé les dialogues trouve le titre ridicule et claque la porte. Quelques années plus tard, en 1972, une fois remonté et son titre original récupéré, le film ressort dans le quartier latin à Paris et découvre enfin le succès qui initialement l’a snobé.
Dans une interview enregistrée en 2019, Mocky se disait très fier de « La cité de l’indicible peur » qui sera finalement l’un de ses films les mieux accueillis par la critique. Au point, selon Mocky, de faire son apparition en avant dernière place dans le TOP 100 d’une revue américaine sur les films qu’il faut avoir vu !
DVD et Blu-ray FR. Studio ESC (2019). Version française. Bonus : interview de Jean-Pierre Mocky