Un film sur la folie un peu hermétique mais qui frôle parfois le sublime, aidé par la précision de la photographie, de la direction artistique et des acteurs.

Despair 1978

Despair (1978)

Réalisé par Rainer Werner Fassbinder

Ecrit par Tom Stoppard d’après le roman de Nabokov

Avec Dirk Bogarde, Andréa Ferréol, Klaus Löwitsch, Volker Spengler…

Directeur de la photographie : Michael Ballhaus / Direction artistique : Jochen Schumacher
et Herbert Strabel / Montage : Rainer Werner Fassbinder et Juliane Lorenz / Musique : Peer Raben

Produit par Peter Märthesheimer

Drame

Allemagne de l’ouest / France

« Hermann Hermann (Dirk Bogarde), un propriétaire d’usine de chocolat dans l’Allemagne du début des années 1930, est hanté par des visions de son double. Partageant ses fantasmes et ses perversions avec sa femme Lydia (Andréa Ferréol), il mène une vie protégée, grand-bourgeoise mais unidimensionnelle. Pendant un voyage d’affaires, il rencontre le vagabond Felix (Klaus Löwitsch) et voit en lui son sosie qui lui inspire un plan risqué : Felix et Hermann vont échanger leurs rôles dans la vie… »

Hermann est un juif russe installé à Berlin. Il a hérité la chocolaterie familiale et perd lentement mais assurément pied, se sentant de plus en plus comme un étranger en Allemagne alors que les Nazis gagnent en puissance.

Hermann voit son double qui l’observe quand il est chez lui dans son intimité, et y éprouve un certain plaisir érotique. Après un voyage d’affaire raté, il rencontre un homme sans emploi Felix, qu’il estime être son parfait jumeau.

Il promet un emploi à Felix mais en fait il veut se servir de lui pour simuler son meurtre et disparaître.

« Despair » n’est pas un film facile à suivre mais après tout c’est un film sur la folie. Dépressif et paranoïaque, Hermann veut en finir avec la vie, et le fait via quelqu’un qui pour lui est son double parfait. Fassbinder décide de nous placer en spectateur de la folie plutôt que de nous glisser dans la tête du fou. Le double est joué non par Bogarde lui-même (ce qui aurait été le cas si on avait été dans la tête de Hermann) mais par un autre acteur qui ne lui ressemble que de façon très superficielle (Klaus Löwitsch). Le résultat est bien sûr déstabilisant pour le spectateur qui est mis frontalement, sans l’ombre d’un doute, face à la folie d’Hermann.

Visuellement, « Despair » est sublime. Les décors et la photographie sont somptueux. Et les acteurs sont tous parfaits. On peut reprocher à « Despair » son côté hermétique, accentué par le montage (refait en une nuit par Fassbinder et la collaboratrice du monteur qui a livré une première version qui ne convenait pas au réalisateur allemand) et des coupures drastiques (la première version durait 3 heures).

Dirk Bogarde livre ici une prestation excellente et sans faute de goût. Il est très à l’aise avec Fassbinder, mais après tout à l’époque il avait déjà travaillé sur des rôles exigeants pour Losey, Visconti, Resnais ou Cavani. Alors âgé de 57 ans, « Despair » a failli être son dernier film cinéma, si Tavernier ne l’avait pas sorti de sa retraite en 1990 pour « Daddy Nostalgie ».

A ses côtés Andréa Ferréol est excellente en femme décérébrée et volage. Elle ne parlait pas un mot d’Anglais (contrairement à ce qu’elle a fait croire à Fassbinder en acceptant le rôle) et dû apprendre la langue en quelques mois pour pouvoir faire le film. Elle assure que Fassbinder ne s’est jamais rendu compte de la « supercherie ».

« Despair » est le quinzième film cinéma réalisé par le boulimique cinéaste allemand Fassbinder depuis ses débuts en 1969 (et c’est donc sans compter ses courts, documentaires et téléfilms). Il avait alors 34 ans. Mais, malgré sa réputation déjà installée, c’était la première fois qu’il pouvait travailler avec un budget d’une telle ampleur (6 millions de Deustch marks) et des stars internationales (Dirk Bogarde en tête).

C’était aussi les premières fois qu’il travaillait en langue anglaise et avec un scénariste extérieur. Tom Stoppard était alors déjà un dramaturge reconnu avec une grosse expérience à la télévision britannique mais il s’agit seulement de son deuxième travail pour le cinéma après « The Romantic Englishwoman » (1975) pour Losey.

La réception de « Despair » sera assez froide aussi bien du côté critique (il n’a ainsi reçu aucune récompense à Cannes où il était en compétition), que côté publique. Pour Fassbinder il faudra encore attendre « Le mariage de Maria Braun » (1979) afin d’obtenir la reconnaissance internationale et « populaire ».

DVD et blu-ray FR. Editions Carlotta Films (2012). Version originale sous-titrée en français. Bonus : « Le cinéma et son double : retour sur Despair de Rainer Werner Fassbinder » de RobertFischer (2011 – HD – 70′)