Un superbe film atypique et audacieux signé John Frankenheimer où un homme va avoir l’opportunité de repartir à zéro. Mais est-ce vraiment une chance ?
Seconds (1966)
Réalisé par John Frankenheimer
Ecrit par Lewis John Carlino d’après le roman de David Ely
Avec Rock Hudson, Salome Jens, John Randolph, Frances Reid,…
Direction de la photographie : James Wong Howe / Direction artistique : Ted Haworth / Montage : David Newhouse & Ferris Webster / Musique : Jerry Goldsmith
Produit par Edward Lewis
Thriller / SF
USA
Troisième film dans ce qu’on a appelé a posteriori la trilogie paranoïaque signée par John Frankenheimer, après « The Manchurian Candidate » (1962) et « Seven Days in May » (1964), « Seconds » est un film bien différent des premiers. Plus de complot politique, plus de Technicolor, ni de défilés de grandes stars. Voici un film en noir et blanc avec une seule star à l’affiche, Rock Hudson. A sa sortie, « Seconds » n’a pas connu un un grand succès. Il faut dire qu’il s’agit d’un film atypique aussi bien narrativement que formellement ou encore dans le ton qu’il adopte.
Le film n’est pas toujours facile à suivre car le spectateur n’a au départ aucune idée de ce qui se passe. Le film s’ouvre ainsi sur une séquence tournée dans la mythique Grand Central Station de New York où l’on suit le personnage lui même suivit par un homme dont on ne voit que le haut du visage, jusqu’à ce que le second donne un petit bout de papier avec une adresse au premier.
Le spectateur est d’autant plus déstabilisé que formellement, Frankenheimer tourne (via son directeur de la poto James Wong Howe qui sera nominé aux Oscars pour ce film) souvent à l’hyper grand angle aussi bien pour des plans larges que très serrés, utilise le flou et enchaine des décors aussi improbables que l’intrigue (passant au début du film en quelques minutes d’un décor d’une blanchisserie, à un abattoir en finissant sur des bureaux aussi impersonnels qu’inquiétant – sans compter une séquence de rêve déformée !). Le tout porté par une musique distordue de Jerry Goldsmith !
Si la deuxième moitié du film, celui de la post transformation où Arthur (John Randolph) devient Antiochus (Rock Hudson) est formellement plus classique, rien n’est fait pour que le spectateur puisse se poser. Comme cette scène où Arthur va avec sa dernière rencontre Martha à une fête folklorique en l’honneur de Baccus et où tout le monde finit par danser tout nu dans un bac de grappes de raisins (autant dire que la scène fut largement coupée pour sa sortie – mais restaurée depuis) !
Mais venons en à l’intrigue. Arthur est un banquier d’un âge moyen, enfermé dans un couple qui se tolère plus qu’il ne s’aime. Leur fille est partie de l’autre côté de l’Amérique. Arthur peut juste s’attendre à devenir directeur mais l’enthousiasme n’est pas là. Sans vous en dire trop, Arthur va se voir proposer par une mystérieuse organisation de redémarrer sa vie à zéro. Un nouveau départ avec une nouvelle identité et un nouveau physique. Mais le rêve va virer vers le cauchemar.
L’histoire est basée sur un court roman de SF écrit par l’écrivain américain David Ely. Le ton du film, son ironie glaciale, sa critique du capitalisme, semble tout droit venir des années 70, et pourtant nous sommes bien en 1965. Quelques années plus tard, on aurait probablement eu droit à un résultat encore plus hallucinogène mais en l’état « Seconds » est un film en avance pour son temps et est sacrément audacieux. Et c’est indiscutablement l’un des meilleurs rôles de Rock Hudson.
A l’heure où j’écris ces lignes (juillet 2024), le film est sorti en blu-ray au Royaume-Uni chez l’éditeur Eureka dans sa série « Masters of Cinema ». Le film est proposé dans une très belle copie avec des sous-titres optionnels en anglais. Dans les bonus, il y a une interview intéressante du critique Kim Newman et surtout un commentaire audio de John Frankenheimer (malheureusement non sous titré).