Injustement malaimé, le dernier film d’Antonioni traite avec ironie du regard fantasmé que les hommes posent sur les femmes, refusant de les comprendre pour préserver un mystère créé de toutes pièces
Identificazione di una donna (1982)
(Identification d’une femme)
Réalisé par Michelangelo Antonioni
Ecrit par Michelangelo Antonioni et Gérard Brach avec la collaboration de Tonino Guerra
Avec Tomas Milian, Daniela Silverio, Christine Boisson, Lara Wendel, Veronica Lazar, Enrica Antonioni,…
Direction de la photographie : Carlo Di Palma / Production design : Andrea Crisanti / Montage : Michelangelo Antonioni / Musique : John Foxx
Produit par Antonio Macri et Giorgio Nocella
Drame
130mn
Italie / France
« Identificazione di una donna » (1982) est le dernier long métrage de Michelangelo Antonioni (je mets volontairement de côté sa collaboration avec Wim Wenders). Le réalisateur est alors âgé de 70 ans et il sera foudroyé trois ans plus tard par une crise cardiaque qui le diminuera considérablement. A sa sortie, le film n’enthousiasmera pas les critiques malgré un prix (symbolique ?) du 35e anniversaire à Cannes. Le New York Times allant jusqu’à écrire qu’il s’agit d’une oeuvre « atrocement vide », une parodie de ses précédents films.
Je ne suis pas un spécialiste d’Antonioni même si je suis fasciné par la beauté mystérieuse qui se dégage des films du réalisateur, de « La Notte » (1961), « Blow Up » (1968) ou encore « Zabriskie Point » (1970) – pour ceux que j’ai vus. Je ne vais donc pas joué au jeu des références croisées avec ses précédentes oeuvres.
Pour « Identificazione di una donna », Antonioni développe le scénario avec Gérard Brach, partenaire régulier de Polanski (de « Repulsion » à « Lunes de fiel »). Le scénario a également été écrit « en collaboration » avec Tonino Guerra, légendaire scénariste italien, un régulier d’Antonioni (L’Avventura, Blow-Up), mais qui a collaboré également avec Francesco Rossi (Cristo si è fermato a Eboli, Dimenticare Palermo) et Fellini (Amarcord).
J’ai failli écrire que « le film raconte l’histoire de » ce qui aurait été piquant pour un réalisateur qui ne s’inscrit pas dans une démarche narrative classique (euphémisme).
Souvent chez Antonioni, la narration fonctionne par éclipses, se perd sur des chemins qui frôlent l’abstraction ou/et l’absurde. Les plans très travaillés, souvent longs, en disent plus que les dialogues. Antonioni laisse au spectateur le choix (ou pas d’ailleurs) de remplir les cases vides.
« Identificazione di una donna » n’est pas l’exception qui confirme la règle, mais il est parmi les plus abordables pour le spectateur lambda. Niccolò (Tomas Milian) est un réalisateur italien qui sort d’un divorce et se retrouve sans projet précis. On lui propose de réaliser un film avec un contrôle créatif total. Un champs des possible s’ouvre pour Niccolò, tant amoureusement que professionnellement.
Mais Niccolò ne sait pas quoi faire de sa liberté. Non qu’il attende passivement, mais il cherche à tâtons. Il cherche un visage féminin pour son film et une romance pour lui. La même personne ? En répondant au téléphone dans le cabinet de sa soeur gynécologue, il fait la rencontre de Mavi (Daniela Silverio), une jeune aristocrate. Celle-ci a une relation complexe avec les hommes et avec son milieu social. Niccolò reçoit des menaces d’un inconnu qu’il pense liées à sa relation avec Mavi. Il devient obsédé par le fait qu’il soit surveillé et se sent ostracisé par le milieu social aisé dans lequel navigue Mavi.
Perdu dans sa vie et paranoïaque, conscient qu’il ne comprend plus la société d’aujourd’hui, Niccolò navigue à vue dans un brouillard épais (comme dans la scène centrale du film). Quand Mavi disparait brutalement, il part à sa recherche et rencontre Ida (Christine Boisson), une jeune actrice avec qui il commence une relation, sans pouvoir oublier la précédente. Ida est l’opposé de Mavi, les pieds sur terre, franche et directe. Antonioni enfonce le clou en posant un regard très différent sur les deux femmes. Quand elle est montrée nue, Mavi est en pleins ébats sexuels et la charge érotique est à son paroxysme, alors qu’on ne voit jamais Ida en train de faire l’amour, on la voit nue aux toilettes ou en train de s’habiller.
Mais cette relation n’est pas plus facile pour Niccolò. Pas étonnant pour un homme qui de toute façon ne sait pas où il en est, lui-même. A la fin, on le voit même envisager de tourner un film de SF sur une mission spatiale pour aller étudier le soleil. Le mystère de la création lui semble plus facile à résoudre que celui des femmes.
Pourtant Ida lui donne la réponse : « Je suis un être humain comme toi, il se trouve juste que je suis d’un autre sexe ». Mais Niccolò n’écoute pas. Il ne veut pas se simplifier la vie, il ne veut pas de réponse, il veut juste l’inspiration et semble se délecter d’un mystère qu’il a lui même créé. Le film porte un regard tout en ironie sur les fantasmes que les hommes projettent sur les femmes.
« Identificazione di una donna » est une réflexion assez directe et étonnement illisible (pour Antonioni) des relations homme-femme. Ainsi, l’usage métaphorique du brouillard ne va pas provoquer moult interprétations parfois opposées. Mais qu’importe. On retrouve en tout cas la maitrise formelle d’Antonioni par le jeu des reflets dans les fenêtres ou des contre-plongées. Le film dégage toujours cette ambiance si particulière même si Antonioni semble se délester des excès d’une rigueur formelle qu’il réduit ici à l’os.
En ce qui me concerne, « Identificazione di una donna » est un dernier film parfait pour clôturer l’oeuvre d’Antonioni. Il sonne comme un aveu lucide des ses propres faiblesses et tentations qui ont été autant de sources de créativité artistique. Ce qui est mauvais pour l’homme n’est pas forcément mauvais pour l’art. Personne ne prétendra que ce dernier film est son meilleur, mais je pense que c’est un film sincère et donc nécessaire.