Le second film de John Cassavetes, injustement négligé, est un portrait souvent poignant d’un artiste trop orgueilleux pour son bien

Too Late Blues (1961)

(La balade des sans-espoirs)

Réalisé par John Cassavetes

Ecrit par Richard Carr et John Cassavetes

Avec Bobby Darin, Stella Stevens, Everett Chambers,…

Directeur de la photographie : Lionel Lindon / Directeur artistique : Tambri Larsen et Hal Pereira / Montage : Franck Bracht / Musique : David Raksin

Produit par John Cassavetes pour Paramount

103 mn

Drame

USA

« Too Late blues », premier film de Cassavetes pour un studio, est une réflexion sur la condition d’artiste et l’orgueil mal placé. Ghost est le compositeur et leader d’un groupe de jazz, et préfère jouer dans devant des enfants ou dans un parc vide, plutôt que de jouer une musique qu’il ne souhaite pas. Quand son impresario Beny Folwers (Everett Chambers) lui propose d’enregistrer un disque en respectant ses conditions, il semble enfin en mesure de décrocher la timbale. Mais quand il décide de sortir avec Jess, une jeune chanteuse sans grand talent qui sortait avec Beny, il provoque la colère de ce dernier, qui décide de se venger. Humilié alors qu’il tente de défendre Jess lors d’un combat dans un bar provoqué par Beny, Ghost par orgueil va tout envoyer promener, son groupe et sa petite amie. L’orgueil de Ghost va lui coûter cher. Saura-t-il admettre ses erreurs ou continuera-t-il sur une voie qui semble l’amener vers l’auto-destruction ?

Après son premier film « Shadows » (1959), film indépendant audacieux à la genèse difficile, on peut comprendre que John Cassavetes se soit laissé séduire par la perspective de travailler avec un studio. Doté d’un budget modeste (350.000 dollars) et avec un triple crédit de co-scénariste, réalisateur et producteur (pour la première et dernière fois de sa carrière), Cassavetes n’a légitimement pas eu l’impression de vendre son âme au diable. Après tout contrairement à son anti-héros Ghost, Cassavetes sait ce qu’il veut et comment l’obtenir.

Non qu’il ait obtenu tout ce qu’il voulait. Il faut bien faire des concessions. Il n’obtiendra pas son casting idéal composé de Montgomery Clift (malade et en fin de carrière) et de sa femme, Gena Rowlands (qui n’avait qu’un film à son actif et avait à l’époque surtout une expérience sur le petit écran). Le studio préférera parier sur deux valeurs montantes. Bobby Darin était alors un jeune crooner plein de promesses qui montait aussi un talent en tant qu’acteur. Cassavetes le connaissait déjà, Darin avait après tout fait ses débuts sur les écrans en faisant de la figuration sur « Shadows ». Dans le rôle féminin principal, c’est Stella Stevens qui a été retenue qui allait ensuite enchaîner avec un film d’Elvis Presley.

« Too Late Blues » s’adapte aux impératifs du travail avec un gros studio . Contrairement à « Shadows », ici pas d’improvisation, le film est basé sur un script co-écrit par Cassavetes et Richard Carr, scénariste chevronné qui a essentiellement travaillé à la télévision, et notamment sur la série qui a fait de Cassavetes une star du petit écran « Johnny Staccato ». 80 % de l’action est en intérieur et le tout est filmé par un directeur de la photographie très expérimenté Lionel Lindon avec lequel il avait également déjà travaillé sur « Johnny Staccato ».

Bref, globalement Cassavetes semble avoir pu signer ce premier long de studio dans des conditions très acceptables. Pour sa part, l’actrice Stella Stevens se souvient d’un tournage dans la bonne humeur, même si Cassavetes a par la suite un peu renié le film.

Aujourd’hui, « Too Late Blues » est souvent négligé dans la filmographie de Cassavetes. Il s’agit pourtant d’un très bon film qu’il serait dommage de snober.

Darin et Stevens livrent de belles performances et le reste du casting porte la marque de Cassavetes avec un certain nombre d’acteurs provenant de l’époque où il travaillait dans le théâtre à New York.

Cassavetes démontre encore une fois son amour et sa connaissance du Jazz. La première scène du film est particulièrement symbolique. Le groupe de jeunes musiciens blancs jouent devant des enfants noirs enthousiastes et l’un d’eux va jusqu’à voler le saxo d’un des musiciens. Un clin d’oeil évident au fait que les blancs se sont appropriés la musique noire (jazz, blues, rock’n’roll).

De même, difficile de pas voir dans la figure de la comtesse (Marylin Clarke), femme d’un certain âge qui patronne de jeunes jazzmen talentueux une allusion à Pannonica de Koenigsarter, héritière de la famille Rotschild, qui, installée à New York, a patronné nombre d’artistes de jazz, dont Charlie Parker et Thelonious Monk. Même si la comparaison avec le personnage du film n’est guère flatteur et les assimiler semblerait injuste.

On peut regretter par contre que la bande originale du film ait été composée par David Raksin, compositeur talentueux mais qui livre une partition de jazz classique, alors qu’il aurait été plus logique que le personnage de Ghost, qui croit et veut jouer un jazz personnel ait livré des compositions plus audacieuses, plus expérimentales.

A sa sortie en salles, le film n’a pas reçu l’accueil escompté par le studio et par Cassavetes lui-même. Pour son film suivant, il décide alors de travailler avec Stanley Kramer en tant que producteur pour « A Child is Waiting » (1963) puis devant cette nouvelle déception, il se replongera dans le cinéma indépendant avec « Faces » (1968).

« Too Late Blues » ne bénéficie pas d’édition française à ce jour (septembre 2018) . On peut le retrouver par contre dans un combo DVD/blu-ray de très bonne facture chez l’éditeur anglais Eureka ! dans sa collection « The Masters of Cinema Series » (avec des sous-titres anglais

Combo DVD/blu-ray UK. Studio Eureka (2014). Version originale avec des sous-titres en anglais optionnels. Bonus : Livret de 52 pages + discussion autour du film avec le critique David Cairns